Imaginez un jardinier qui, au lieu de dégainer sa tondeuse à la première herbe folle, s’arrête, observe et décide de faire un pas de côté pour la laisser vivre. Ce jardinier, c’est Gilles Clément.
Loin de l’image du paysagiste « dompteur » qui impose une géométrie rigide au vivant, Gilles Clément a bouleversé l’art des jardins à la fin du XXe siècle. Botaniste, entomologiste, écrivain et enseignant, il nous a appris à regarder le jardin en mouvement non pas comme un désordre à corriger, mais comme une chorégraphie naturelle à accompagner.
Découvrons ensemble l’œuvre de ce paysagiste français visionnaire, dont la philosophie est aujourd’hui plus urgente que jamais pour la biodiversité au jardin.
De l’observation à la théorie : Parcours d’un jardinier-philosophe
Né en 1943 à Argenton-sur-Creuse (Indre), Gilles Clément a grandi avec un lien charnel à la terre. Formé comme ingénieur horticole et paysagiste, il a également enseigné pendant de nombreuses années à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles (ENSP).
Cependant, c’est dans son propre jardin secret, « La Vallée » dans la Creuse, que tout a commencé. C’est là, dans ce laboratoire à ciel ouvert, qu’il a observé le comportement des plantes « vagabondes ». Il a remarqué qu’une digitale ou une grande berce, si on la laisse monter en graine, ne repousse jamais exactement au même endroit l’année suivante. Elle cherche la meilleure lumière, le meilleur sol.
De cette observation simple est née une rupture majeure avec la tradition horticole française : le refus de la forme figée pour embrasser la dynamique du vivant.
Les 3 grands concepts de Gilles Clément
Pour comprendre l’influence de Gilles Clément, il faut saisir trois concepts clés qui structurent toute son œuvre et sa pensée écologique.
1. Le Jardin en Mouvement
C’est sans doute son concept le plus célèbre. Le principe est simple : « Faire le plus possible avec, le moins possible contre. »
Dans un jardin en mouvement, le jardinier ne dessine pas un plan immuable. Il observe comment les plantes se déplacent (par leurs graines, leurs rhizomes) et adapte les cheminements et les tailles en fonction de ces déplacements.
- L’impact : Cela permet aux espèces de terminer leur cycle biologique, favorisant ainsi une incroyable biodiversité et réduisant drastiquement l’usage de machines et de produits chimiques.
2. Le Tiers-Paysage
Ce terme, inspiré du « Tiers-État », désigne tous les espaces négligés ou inexploités par l’homme : les friches, les bords de routes, les talus, les zones industrielles abandonnées.
Pour Clément, ces lieux ne sont pas des « poubelles », mais des réservoirs génétiques capitaux. Ce sont les derniers refuges où la nature peut s’exprimer librement, sans contrainte économique ou esthétique. Le Tiers-Paysage est, selon lui, le garant de l’avenir biologique de notre territoire.

3. Le Jardin Planétaire
C’est une vision politique et humaniste. Gilles Clément nous invite à considérer la Terre comme un seul et unique jardin, fini et clos. Dans cet espace limité, l’humanité est le jardinier. Nous sommes responsables de la gestion de la biomasse et de la diversité du vivant. C’est un appel à une conscience écologique globale : chaque geste local a une résonance planétaire.
Des réalisations emblématiques
Gilles Clément a mis en pratique ses théories dans des projets d’envergure qui ont marqué le paysage urbain.
Le Parc André-Citroën (Paris)
Inauguré en 1992 (co-conçu avec Allain Provost), ce parc est la démonstration grandeur nature du Jardin en Mouvement. Dans certaines parcelles, les plantes sont libres de se ressemer. Le visiteur découvre alors un paysage changeant au fil des saisons et des années, rompant avec la symétrie habituelle des parcs parisiens.
Le Domaine du Rayol (Var)
Sur la corniche des Maures, Clément a transformé une propriété balnéaire en un « Jardin des Méditerranées ». Au lieu de créer un jardin botanique classique avec des étiquettes, il a recréé des paysages du monde entier (Californie, Afrique du Sud, Australie) partageant le même climat. Ici, l’entretien est minimaliste pour laisser s’exprimer la puissance de la flore méditerranéenne.
Le Jardin du Musée du Quai Branly (Paris)
Au pied du musée conçu par Jean Nouvel, Gilles Clément a imaginé un jardin de savane, un « bois sacré ». Il a voulu créer un écran végétal dense et foisonnant, utilisant des graminées et des plantes d’ombre pour isoler le visiteur du bruit de la ville. C’est une invitation au mystère et à la découverte, en plein cœur de Paris.
Pourquoi son approche est-elle révolutionnaire ?
Avant Gilles Clément, le modèle dominant, hérité d’André Le Nôtre (jardinier de Louis XIV), était celui de la maîtrise absolue : la nature devait être soumise à la géométrie et à la raison humaine.
Clément a opéré un virage à 180 degrés. Il a valorisé :
- L’aléatoire : Accepter d’être surpris par une plante qui pousse là où on ne l’attendait pas.
- Les « mauvaises herbes » : Il préfère parler d’herbes folles ou spontanées, soulignant leur beauté et leur utilité écologique.
- Le temps long : Le jardin n’est pas un décor statique, mais un processus vivant qui évolue.
Cette vision a profondément influencé toute une génération de paysagistes contemporains et a préfiguré l’essor du jardin écologique actuel.
Conseils pratiques inspirés par Gilles Clément
Comment appliquer la philosophie de ce grand jardinier chez vous ? Voici quelques pistes pour transformer votre coin de verdure :
- Observez avant d’agir : Ne vous précipitez pas pour tout arracher. Attendez de voir quelles plantes apparaissent spontanément. Elles sont souvent les mieux adaptées à votre sol.
- Laissez des zones de friche : Gardez un coin du jardin où vous n’intervenez jamais (ni tonte, ni taille). C’est là que les insectes, les hérissons et les oiseaux trouveront refuge (votre propre « Tiers-Paysage »).
- Accompagnez plutôt que de contrôler : Si une plante se plaît à un endroit, laissez-la faire. Détournez votre chemin plutôt que de la couper.
- Réduisez l’entretien : Acceptez que le jardin change d’aspect en hiver. Les tiges sèches et les feuilles mortes nourrissent le sol et protègent la vie microscopique.
Conclusion
Gilles Clément n’est pas seulement un paysagiste ; c’est un penseur qui a réconcilié l’homme avec la dynamique naturelle. En nous apprenant à « jardiner le monde » avec humilité, il nous offre une clé précieuse pour l’avenir : la compréhension que notre survie dépend de notre capacité à coopérer avec le vivant, plutôt qu’à tenter de le dominer.
Son héritage est simple mais puissant : regarder une friche et y voir non pas un vide, mais une promesse de vie.

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